Regard d’expert : handicap et emploi en Europe, tour d’horizon des différentes législations

« Les lois ne suffisent pas, il faut des mutations sociétales et là aussi le coup d’œil au-delà de nos frontières pourrait accélérer le mouvement. »

Dominique VELCHEDominique Velche, chercheur en sciences sociales et expert sur la question du handicap en Europe répond aux questions d’Exéco. À partir de son étude auprès de 27 pays européens il nous éclaire sur les tendances de nos voisins frontaliers quant à leur contexte législatif et culturel en matière de handicap.

Quelles sont les orientations politiques choisies par nos voisins européens pour inciter les entreprises à recruter des personnes en situation de handicap ?

Il y a deux approches possibles : la première, quantitative (le quota d’emploi) et la seconde, davantage qualitative autour de l’engagement des états dans leur programme économique global.

La première, quantitative, et la plus intuitive, pour nous, français, est de partir de ce que nous connaissons : le quota d’emploi. Dans ce cadre, il y a différents profils :

Les pays qui, comme la France appliquent vraiment un quota d’emploi égal pour les employeurs privés et publics. Ils disposent généralement d’un Fonds recueillant les « pénalités ». C’est aussi le cas de l’Allemagne (5%). Certains pays ont un taux différent pour le secteur public et privé ; c’est la direction prise par l’Espagne (2% et 3%) et la Belgique (5% et de 2 à 4%). Et enfin, le Royaume-Uni fait partie des pays ayant refusé l’obligation d’emploi, remplacée par le principe de non-discrimination.

[su_label]NB : Il n’y a pas de statut commun du travailleur handicapé en Europe. En effet, la Convention des Nations-Unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) ne fait pas mention d’un statut particulier mais du droit à un emploi s’appliquant à toutes personnes, handicapées comprises (article 27) .[/su_label]

A noter que d’autres nations ont opté pour une obligation d’emploi qu’elles « oublient » d’appliquer.

Un classement de l’ensemble des pays européens a été réalisé en utilisant cette approche quantitative (voir en note de bas de page).

D’un point de vue qualitatif, une autre approche est possible, celle liée à l’application de la Convention des Nations-Unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH). Le classement est alors différent : l’esprit de la CDPH peut s’exprimer dans le contenu des rapports produits par les pays membres (NRP : National reform program) à l’attention de la Commission européenne. Ainsi, Marc Priestley et Alan Roulestone chercheurs de l’Academic Network of European Disability experts (ANED), se sont saisis de ces rapports pour effectuer une analyse et vérifier dans quelle mesure le sujet du handicap avait sa place dans les objectifs politiques nationaux au-delà des politiques qui lui sont spécifiques.

Quels ont été les résultats de cette analyse ?

Marc Priestley et Alan Roulestone proposent trois types de réponses :

  • Les pays qui peinent à inclure le handicap dans leur politique nationale (c’est le cas de la France et de l’Allemagne) ;
  • l’Italie et la Belgique, entre autres, font référence au handicap dans leurs rapports, mais sans véritablement apporter la preuve d’une politique cohérente en la matière ;
  • enfin, le Royaume-Uni et l’Espagne donnent une place importante au handicap dans leur compte-rendu, et offrent des preuves quantitatives et qualitatives d’une politique effective dans ce domaine.

Au vu de vos études, pensez-vous qu’une politique commune puisse se dessiner au sein de l’Union Européenne ?

Une politique commune n’est pas envisageable avant longtemps. Mais la CDPH peut amener des pratiques communes, par l’effet des recours judiciaires ; comme convention internationale ratifiée par le pays, la CDPH prend fonction de loi supranationale et un citoyen peut en exiger l’application. De plus si le pays a ratifié le « protocole additionnel, comme c’est le cas de la France, s’il est débouté par une juridiction française, il peut s’adresser à la Cour internationale de justice.

Quel message souhaitez-vous faire passer à nos lecteurs ?

D’abord que très souvent il y a des solutions, mais qu’on en n’a pas la connaissance, d’où l’importance de fonctionner en réseaux diversifiés et de ne pas être isolés.

Les français ont une fâcheuse tendance à dénoncer ce qui n’est pas possible ou qui bloque. Quand on regarde chez nos voisins, on s’étonne de voir à quel point ils sont pragmatiques et comment ils contournent les difficultés. Or, tout n’est pas mauvais ici, loin s’en faut. Défendre notre modèle social, c’est aussi montrer à quel point il est protecteur, ce qui dans le cas des personnes handicapées, est assez raisonnablement le cas.

Les vrais défauts chez nous sont de deux ordres :

  • le report des objectifs d’accessibilité est un véritable non-sens. Il envoie un message scandaleusement négatif à l’ensemble des décideurs dans notre société ;
  • la difficulté culturelle qu’a notre peuple _davantage enclin à demander la protection de l’Etat qu’à défendre individuellement ses droits_ à adhérer au principe de non-discrimination, entrave l’évolution de la représentation des personnes handicapées. Les lois ne suffisent pas, il faut des mutations sociétales et là aussi, le coup d’œil au-delà de nos frontières pourrait accélérer le mouvement.

Propos recueillis par Claire MAEYHIEUX et Marion COLOMBEL // Exéco

Source : Marc Priestley et Alan Roulestone (2009) Targeting and mainstreaming disability in the 2008-2010 National Reform Programmes on Growth and Jobs – Site de l’ANED – consulté le 02 février 2017 à http://www.disability-europe.net/downloads/275-aned-task-6-nrp-synthesis-report-070110-final

  • Classement des pays européens :Les pays qui, comme la France appliquent vraiment un quota d’emploi pour les employeurs privés et publics à égalité. Ils disposent généralement d’un Fonds recueillant les « pénalités » : Allemagne (5%), France (6%) et Pologne (6%) ayant tous un emploi protégé développé ; Italie, 7% mais avec une procédure très différente et des coopératives en plus d’ateliers protégés ; Les Pays-Bas pourraient entrer dans ce groupe (5%) si l’emploi effectif n’est pas suffisant ; Autriche (4%) mais peu d’emplois protégés ; République Tchèque (4%) plutôt emploi subventionné et emploi accompagné ; Bulgarie (4%) travail protégé un peu plus faible qu’en France ; Slovaquie (3,2%) travail protégé important ; Slovénie (2-6%), travail protégé important ;
  • Les pays qui ont un taux différent pour le secteur public et le secteur privé (incluant refus d’obliger les employeurs privés) : Espagne (2% / 3% (dont 7%)) travail protégé concurrencé par l’emploi accompagné ; Portugal (5% ; 0%) (travail protégé faible) ; Belgique (2-5% / 0%), travail protégé important ; Croatie (2-6% progressivement / 2-6% selon taille), travail protégé peu important ; Irlande (3% / 0%), développement de l’emploi accompagné au détriment du travail protégé ; Luxembourg (5% / 2-4%), travail protégé important ; Chypre (3% / 5%) peu respecté, travail protégé faible, développement de l’emploi accompagné ; Malte (0% / 2%) peu appliqué, coopératives peu d’effectifs ;
  • Les pays ayant une obligation d’emploi qu’ils n’appliquent pas : Hongrie (5%) emploi protégé très important ; Grèce (5% / 8%) peu appliqués (groupes sociaux), peu de coopératives d’intégration sociale (large) ; Roumanie (4%) (travail protégé faible) ;
  • Les pays ayant refusé l’obligation d’emploi, remplacée par la non-discrimination : Royaume-Uni, à la place d’un quota de 3% en 1995, 2015 fermeture totale du travail protégé ; Pays-Bas, jusqu’en 2017, avec un travail protégé municipal très important ; Suède, adoption ancienne de la non discrimination et de la désinstitutionalisation, mais emploi protégé très important ; Finlande, pression faite sur les municipalités, travail protégé très important ; Danemark, plutôt emploi subventionnés, cumul avec allocations, peu de travail protégé ; Lituanie, plutôt salaires subventionnés, travail protégé de faible effectifs ; Lettonie, plutôt salaires subventionnés, les ateliers protégés ne sont plus sensés exister, mais des alternatives subsistent ; Estonie, plutôt salaires subventionnés, peu de travail protégé, plutôt emploi accompagné.